Projet d’enseignes de Montréal

 


Emplacement original

1319 et 1321, rue Sainte-Catherine Ouest


Lieu d’exposition actuel

Deuxième étage du pavillon Communication et journalisme (CJ) – campus Loyola de l’Université Concordia


Année d’acquisition

2011


Nous remercions

M. Michael Litvack

Supermarché Buywell

La signature de l’épicerie Buywell ainsi que sa mascotte, surnommée Jeeves, datent des années 1920. Pendant six décennies, leur traitement graphique changera fort peu, si ce n’est que Jeeves perdra, Dieu sait pourquoi, un doigt à chaque main. Si le nom de leur créateur reste inconnu, la rumeur veut qu’il ait étudié à l’Université de Chicago avec Walt Disney. Le panneau donné au Projet d’enseignes de Montréal se trouvait dans une vitrine, entre les deux portes avant de la succursale principale de la chaîne Buywell, plus précisément aux 1319 et 1321 de la rue Sainte-Catherine Ouest. Il dissimulait la moitié inférieure des viviers à truites et à homards. Ainsi, les passants n’en voyaient que la partie supérieure, en verre, et leurs occupants. Dans les années 1980, une plainte formulée par un inspecteur de l’Office de la langue française amène le propriétaire, Michael Litvack, à rayer le mot « since » de l’enseigne à l’aide d’un marqueur noir. M. Litvack arrive toutefois à convaincre les représentants de l’Office que Buywell est un patronyme, évitant dès lors que la raison sociale soit elle aussi censurée.

Véritable institution durant 85 ans au centre-ville de Montréal, Buywell connaît des hauts et des bas qui reflètent bien ceux que vit parallèlement la métropole québécoise. Fondé sous le nom de Stanford’s-Buywell en 1900, le commerce s’installe rue Sainte-Catherine Ouest, aux numéros 1319 et 1321, à côté du grand magasin Ogilvy. Il deviendra le porte-étendard de ce qui pourrait bien être la toute première chaîne commerciale à Montréal. De sa création aux années 1930, Stanford’s-Buywell prend de l’expansion et ouvre entre 10 et 15 succursales aux quatre coins de la ville. Toutefois, après les années difficiles de la grande dépression, il n’en reste plus que deux quand la famille Litvack achète l’entreprise en 1946.

Le boum économique de l’après-guerre redonne tout leur dynamisme tant à Montréal qu’à Buywell. « Nous exportions en Pologne – partout dans le monde, en fait », se rappelle Michael Litvack. Sa croissance suit celle de l’entreprise, dont il prend les rênes après la mort de son père, en 1977. « La guerre finie, chacun manque de tout, mais Buywell vend de tout. »

Bientôt, Buywell peut se targuer du plus fort volume de vente au pied carré à Montréal. Cette réputation de l’épicerie contribue à soutenir son chiffre d’affaires : quand on ne parvient pas à dénicher ailleurs ce que l’on cherche, on sait qu’on le trouvera chez Buywell. « Il fallait parfois demander l’article convoité, car toute la marchandise n’était pas nécessairement en rayon, mais peu importe, nous l’avions, affirme M. Litvack. À cette époque, Buywell tenait le haut du pavé. »

Renommé comme chef de file dans la vente de produits hauts de gamme, Buywell a tout intérêt à rester en retard sur son époque. Ainsi, bien après que le libre-service fut devenu la norme, l’établissement continue à offrir un service personnalisé et compétent. « Nous travaillions à l’ancienne, et notre succès reposait en grande partie sur cette façon de faire », explique M. Litvack.

Les articles de qualité vendus chez Buywell attirent une vaste clientèle, notamment de nombreuses personnalités du Montréal politique et culturel. M. Litvack se souvient entre autres de ces consommateurs :

Le père de M. Litvack dirige la maison Buywell de 1946 à 1977, année de son décès. Épaulé par ses frères, il parvient à établir une impressionnante présence commerciale aux quatre coins de la ville. À leur apogée, les Litvack possèdent 36 magasins sous diverses raisons sociales, dont trois Buywell, et pourvoient aux besoins d’une clientèle variée. Le berceau de la chaîne n’en reste pas moins l’épicerie originale de la rue Sainte-Catherine avec ses clients pittoresques et ses employés aux longs états de service. « J’avais l’habitude de dire que je n’échangerais pas cette succursale contre les deux supermarchés les plus rentables de la chaîne Steinberg », se souvient M. Litvack.

Ce dernier prend la direction de Buywell en 1980, juste après l’entrée en vigueur de lois provinciales régissant l’exploitation des commerces. « Ces nouvelles mesures, qui permettaient le prolongement des heures d’ouverture et qui donnaient à plus de magasins la possibilité de vendre plus de produits, notamment la bière, ont tué les entreprises familiales comme Buywell, soutient M. Litvack. De nos jours, tout le monde offre tout, et les petits commerçants doivent se contenter des miettes pour survivre. »

L’épicerie fine Buywell de la rue Sainte-Catherine Ouest ferme ses portes en 1985. On pourra consulter à loisir la petite collection de photos que M. Litvack partage sur Flickr.